Gaza – Umm Yahya al-Qishawi berce l’un de ses deux nourrissons d’une main, tout en plaçant l’autre sur la couveuse où repose son autre enfant à l’hôpital des Martyrs d’Al-Aqsa à Deir al-Balah (centre de la bande de Gaza). Elle échange des regards affectueux et attentionnés avec ses jumeaux, les yeux enfoncés dans les orbites, le cœur battant d’inquiétude pour eux, dont la santé se détériore à cause de la malnutrition.

Cette mère de 38 ans est profondément inquiète pour ses jumeaux, Majed et Munir, nés prématurément il y a quelques jours. Les médecins ont décidé de les placer en couveuse en raison de leur faible poids et de leur malnutrition.

Les avertissements du ministère palestinien de la Santé accentuent l’inquiétude de cette mère, car ni le lait maternel ni le lait thérapeutique ne sont disponibles dans les hôpitaux de Gaza en raison de l’interdiction de toute livraison de lait par l’occupation israélienne depuis près de quatre mois.

Naissances dangereuses

Pendant de nombreuses années, la mère des deux nourrissons a souffert de problèmes de fertilité, jusqu’à la naissance de son premier enfant, Yahya, il y a trois ans. Pendant la guerre, elle a découvert qu’elle était enceinte de jumeaux, comme elle l’a raconté à Al Jazeera Net. « J’étais presque folle de joie, mais être enceinte sous le siège et la famine m’a ôté toute joie. Ce fut une épreuve très difficile et éprouvante. »

Umm Yahya n’a pas terminé son huitième mois de grossesse et a subi une césarienne d’urgence en raison de sa malnutrition sévère. Elle a donné naissance à ses jumeaux, pesant chacun seulement un kilo et demi, ce qui a nécessité leur admission en couveuse.

Le cinquième jour, l’état de santé de l’un des nourrissons s’est amélioré, tandis que l’autre est resté en couveuse. Umm Yahya a déclaré : « J’ai l’impression que mon cœur est déchiré en deux à force de m’inquiéter pour eux deux, et je ne sais pas comment je vais gérer le lait. »

La mère souffre elle-même de malnutrition et affirme ne pas pouvoir allaiter ses jumeaux. De plus, le lait n’est pas disponible en pharmacie, et lorsqu’il y en a, il est très cher et elle n’a pas les moyens de se le permettre.

Umm Yahya a donné naissance à des jumeaux par césarienne et souffre de famine et de malnutrition (Al Jazeera)

Non loin de la couveuse de l’hôpital des Martyrs d’Al-Aqsa, Asmaa Abu Jumaa se tenait aux côtés de son bébé, Yousef, qu’elle avait mis au monde quelques jours plus tôt. Son état de santé et son faible poids nécessitaient son admission à la couveuse également.

La grossesse difficile d’Umm Yousef, 38 ans, a laissé des traces sur son nouveau-né. Bien qu’elle l’ait d’abord allaité, elle n’a pas pu continuer car elle souffrait elle aussi de la famine. Les œufs, la viande, le poulet et les fruits, qui aident les mères allaitantes à produire du lait, étaient introuvables dans la bande de Gaza. De même, le lait maternisé était introuvable dans les hôpitaux et les pharmacies.

Umm Yousef, comme elle l’a confié à Al Jazeera Net, avait vécu douze grossesses et accouchements avant sa dernière expérience pendant la guerre, qu’elle considère comme la plus difficile, tant psychologiquement que physiquement, car elle a connu la peur et la faim. Durant cette période, elle souffrait d’hypotension.

Asmaa a donné naissance à un bébé en mauvaise santé et ne peut pas l’allaiter en raison de sa propre malnutrition (Al Jazeera)

Une catastrophe imminente

Les hôpitaux de la bande de Gaza ont alerté sur une catastrophe sanitaire imminente menaçant la vie de milliers de prématurés et de nourrissons en couveuse en raison de la pénurie de lait maternisé et thérapeutique.

Le Dr Ahmed Al-Farra, directeur de l’hôpital pédiatrique et de la maternité du complexe médical Nasser, a déclaré à Al Jazeera Net que les hôpitaux publics, les établissements de santé privés et les établissements de santé internationaux souffrent d’une pénurie totale de lait maternisé, tant normal que thérapeutique, en raison de l’interdiction d’entrée de quatre mois imposée par l’occupation dans la bande de Gaza.

Le Dr Al-Farra a expliqué que le lait destiné aux différents stades de développement de l’enfant est totalement absent du secteur de la santé, menaçant la vie de milliers d’enfants, à moins que les organisations et organismes internationaux compétents ne fassent pression sur Israël pour qu’il ouvre les points de passage et autorise l’entrée rapide du lait en quelques heures.

Ces risques pour les prématurés et les nourrissons augmentent à mesure que les mères souffrent de malnutrition et ne peuvent pas allaiter, selon le Dr Al-Farra.

Le Dr Ahmed Al-Farra met en garde contre une catastrophe imminente menaçant la vie de milliers de bébés prématurés et de nourrissons en raison de l’épuisement du lait (Al Jazeera)

Le bâtiment Tahrir, réservé aux enfants du complexe médical Nasser, le plus grand et le seul hôpital public de Khan Younis (sud de la bande de Gaza), reçoit chaque jour environ dix cas d’enfants souffrant de malnutrition sévère.

Al-Farra explique : « Nous ne pouvons pas accueillir tous les cas quotidiens en raison de la forte surpopulation des services et des ressources limitées liées au blocage de l’approvisionnement en lait, en fournitures médicales et en nourriture par l’occupation. »

Les données officielles palestiniennes indiquent que le nombre d’enfants de tous âges victimes de famine et de malnutrition a atteint 60 cas à ce jour.

Selon le Dr Al-Farra, la malnutrition chez un enfant au cours des trois premières années de sa vie entraîne non seulement la mort ou la maladie, mais laisse également des séquelles durables sur son développement mental et psychologique, qui peuvent persister plusieurs années, voire toute sa vie.

« Génocide silencieux »

Jeudi dernier, l’hôpital Al-Rantisi de la ville de Gaza a lancé un appel urgent à l’intervention pour mettre fin à la catastrophe qui menace la vie de centaines d’enfants en raison de la pénurie totale de lait. Il a déclaré ne pas avoir actuellement une seule brique de lait, malgré l’accueil quotidien de dizaines d’enfants souffrant de malnutrition et de problèmes d’absorption.

Le Dr Ismail Al-Thawabta, directeur général du Bureau des médias du gouvernement, a déclaré à Al Jazeera Net que « les enfants constituent la plus grande proportion de victimes potentielles dans la période à venir, compte tenu de la fragilité de leur corps et de leur incapacité à résister à ce blocus alimentaire étouffant, qui place le blocus et la fermeture des points de passage au même niveau qu’un génocide ».

Le responsable gouvernemental a ajouté que « les enfants sont abandonnés à eux-mêmes face à une machine à mort lente, sans nourriture, sans médicaments, sans eau potable, ni même sans lait maternisé », accusant Israël de commettre ce qu’il a qualifié de « crime silencieux de génocide contre les enfants de Gaza, par la famine et la privation de lait ».

N.B. : ce billet est la traduction en français de cet article d’origine avec des très légères modifications de mise en forme et ajout des médias sociaux.

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