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Israël-Palestine, le 7 octobre et après : un cadrage médiatique verrouillé !
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Article reformulé à partir d’un article d’origine de Julien Deroni de l’association ACRIMED. L’article disponible à l’achat dans sa version papier en cliquant ici.

Cet article marque le début d’une analyse visant à revenir sur les principaux aspects et biais du traitement médiatique de la nouvelle phase du conflit entre Israël et les Palestiniens, qui a été déclenchée il y a quatre mois suite aux attaques meurtrières du Hamas le 7 octobre 2023. Il est important de souligner que cette analyse ne prétend pas être exhaustive, étant donné l’énorme quantité de matériel disponible et le fait que cette question a fait la une des médias pendant plusieurs semaines. Notre objectif est plutôt d’analyser le « bruit médiatique » dominant, c’est-à-dire l’ensemble des cadres, de la (dé)légitimation et de l’imposition de problématiques présents dans les principaux médias. Ce bruit médiatique, bien qu’il ne soit pas suffisamment puissant pour étouffer complètement les autres points de vue, parvient à les atténuer considérablement, voire à les rendre inaudibles. Il convient toutefois de noter que de nombreux journalistes ont tenté de présenter d’autres perspectives, que ce soit à travers leurs écrits, leurs images ou leurs reportages.

S’interroger sur les principales caractéristiques et dynamiques du traitement médiatique de la nouvelle phase du conflit entre Israël et les Palestiniens implique de remettre en question, en premier lieu, ce qui est apparu à partir du 7 octobre comme le périmètre « légitime » du débat public ou, pour citer Alain Minc, le « cercle de la raison » – ou le « cercle de la réalité et du possible ». En d’autres termes, les premiers et principaux biais que nous allons étudier ne portent pas tant sur le contenu que sur le contenant. Avant d’envisager une analyse critique de l’évolution de la couverture médiatique des événements eux-mêmes, ce qui sera abordé dans un prochain article, il est essentiel de se poser la question du cadre global de cette couverture et des limitations/délimitations qui ont été établies dès le départ ou dans les premiers jours suivant le 7 octobre 2023.

Prologue : « On avait oublié »

Nous avons déjà mentionné à plusieurs reprises dans nos articles précédents sur le traitement médiatique du conflit entre Israël et les Palestiniens : l’un des principaux biais récurrents dans la couverture médiatique de ce conflit est le « présentisme » des médias, c’est-à-dire leur tendance à déconnecter chaque nouvelle séquence ou étape de ce conflit de son contexte historique et spécifique. Dans ce cas précis, les attaques meurtrières perpétrées par le Hamas le 7 octobre 2023 ont été perçues – et dans la plupart des cas traitées – comme un événement soudain et violent dans un contexte relativement calme. Comme l’a souligné Laurent Delahousse lors du journal télévisé de 20 heures sur France 2 le soir du 7 octobre : « C’est une région du monde dont nous avons trop rapidement oublié son caractère explosif. »

« Oublié »… et a contribué à être oublié. C’est un phénomène qui ne résulte pas d’une amélioration progressive de la situation sur le terrain, mais plutôt d’un sous-traitement chronique de l’actualité de cette région du monde, reléguée à l’arrière-plan de l’agenda médiatique. Le désintérêt des grands médias, en particulier audiovisuels, pour le conflit entre Israël et les Palestiniens est en réalité un problème structurel, comme l’a démontré une enquête approfondie réalisée par la Revue des médias de l’INA et publiée le 25 octobre 2023, sous le titre évocateur : « Avant l’attaque du Hamas, le conflit israélo-palestinien avait presque disparu des journaux télévisés ». Cette enquête, basée sur une « analyse statistique des quelque 13 000 reportages, brèves ou sujets de plateau diffusés dans les journaux télévisés du soir entre 1995 et juin 2023 », confirme ce que nous avons déjà souligné à plusieurs reprises : Israël et les Palestiniens sont rarement (de plus en plus) « l’actualité », à moins qu’il ne s’agisse de moments de confrontation militaire d’une ampleur « inhabituelle ».

Pour des statistiques détaillées, on vous invite à consulter l’article d’origine complet.

La sous-médiatisation est accompagnée d’une « mal-médiatisation », qui crée une vision déformée, plutôt qu’informée, du conflit entre Israël et les Palestiniens. Les séquences de « violences » ponctuelles semblent ne pas être liées les unes aux autres et, sauf quelques exceptions, sont dépourvues de logique et d’explications approfondies. Cela reflète le « syndrome de Tom et Jerry » que nous avons identifié pour la première fois en 2012 : « [Le spectateur] ne sait pas pourquoi ces deux-là se détestent, on ne lui a jamais expliqué pourquoi Tom et Jerry ne peuvent pas parvenir à une trêve durable, voire une paix définitive. […] Il devra se contenter d’une couverture médiatique qui se concentre sur la succession des événements, sans s’interroger sur les causes profondes ou sur les dynamiques à long ou moyen terme. » Non, non, rien n’a changé…

Présentisme et déshistoricisation : « Tout a commencé le 7 octobre »

C’est ainsi que le bruit médiatique se présente comme une série de (longues) périodes de silence, ce qui implique implicitement un état de « calme », entrecoupées de périodes de « violence », sans que l’on remette en question, à de très rares exceptions près, ce paradoxe évident : pourquoi des actes de « violence » surgissent-ils dans une situation pourtant « calme » ? Tout cela se fait au détriment de la banalisation/normalisation du phénomène qui est pourtant à l’origine de chacune des périodes « violentes » : l’occupation militaire prolongée de Jérusalem, de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, l’expansion de la colonisation israélienne avec le blocus de Gaza, le régime d’apartheid et la colonisation, le déni des droits nationaux et démocratiques des Palestiniens, pourtant reconnus par le droit international et régulièrement rappelés par les Nations unies.

Il n’est pas surprenant, donc, que le 7 octobre et les jours qui ont suivi aient été l’occasion d’une démonstration éclatante du présentisme des grands médias et de ses conséquences néfastes, notamment avec la difficulté quasi insurmontable de faire entendre l’idée, pourtant simple, que les attaques du Hamas, sans pour autant les justifier, se sont produites dans un contexte qui n’avait peut-être pas fait l’objet d’un traitement médiatique important ces derniers mois. Ce rappel du contexte n’avait pas pour but de « justifier » ces attaques, mais plutôt de permettre de les situer, de les comprendre et pourquoi pas, de les analyser. Cependant, cela a été pratiquement impossible le 7 octobre et les jours suivants, à quelques exceptions près. Ce phénomène est non seulement critiquable en soi, mais il a également contribué largement à « encadrer » la séquence et à laisser des traces pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois.

L’idée que les massacres du 7 octobre étaient un événement inexplicable et dénué de cause s’est ainsi imposée, tout comme l’idée que le 7 octobre marquait le début d’une « guerre » initiée par le Hamas : « La guerre entre Israël et le Hamas dure depuis presque trois mois. Tout a commencé le 7 octobre, avec une attaque du Hamas contre Israël », nous apprenions ainsi le 2 janvier 2024 sur le site et dans un podcast de France Info ; « Passons maintenant au Proche-Orient, cela fait 100 jours que la guerre a commencé entre Israël et le Hamas après les attaques terroristes du 7 octobre », déclarait Nicolas Demorand le 15 janvier lors d’une interview de Dominique de Villepin dans la matinale de France Inter ; toujours le 15 janvier, dans un article publié sur le site du Monde, l’assaut « d’une violence extrême mené par les membres du Hamas, venant de Gaza [le 7 octobre 2023] » était qualifié de « premier acte de la guerre » ; « La guerre a été déclenchée par l’attaque sans précédent du Hamas sur le sol israélien, le 7 octobre, qui a entraîné la mort de 1140 personnes, principalement des civils », pouvait-on encore lire sur le compte X de l’AFP le 21 janvier.

Ce phénomène de « présentisme » explique la surprenante facilité avec laquelle certains présentateurs et/ou éditorialistes ont pu accorder à Israël le statut de victime, dans les jours suivant l’opération sanglante du Hamas et les incessants bombardements de Gaza. Comme nous l’avions souligné à l’époque, le journaliste François Gapihan a déclaré sur le plateau de BFM-TV le soir du 27 octobre 2023, alors que les bombardements s’intensifiaient et que le bilan faisait état de plus de 7 000 morts à Gaza, avec un appel urgent de l’ONU à un cessez-le-feu immédiat : « La Russie est l’agresseur dans le conflit en Ukraine. Israël est actuellement l’agressé depuis le 7 octobre. » Avant le 7 octobre ? C’est un mystère…

Présentisme et déshistoricisation : la « riposte » israélienne

Avec un tel cadrage, on ne s’étonne guère que la violente campagne militaire d’Israël contre Gaza ait été très largement présentée comme une « riposte », terme dont on rappellera la définition par le Larousse : « Action qui répond sur-le-champ et vivement à une attaque ».

Le récit qui a été mis en avant dès les premiers jours est donc celui d’un État d’Israël qui « répond » en prenant des « mesures de représailles », parfois en lançant une « contre-offensive » ou en donnant une « réplique », ce qui a eu pour effet de définir la situation toujours en cours quatre mois plus tard. Les actions militaires d’Israël à Gaza, quelles qu’elles soient, continuent ainsi, encore aujourd’hui, d’être présentées comme faisant partie d’une « riposte ». Par exemple, lors du journal de 8h30 de la matinale de France Info TV le 9 février, il a été dit : « [qu’] Israël intensifie ses frappes sur Rafah en réponse aux attentats du Hamas du 7 octobre dernier ».

Un phénomène qui contribue en premier lieu au présentisme et à la déshistoricisation : puisque « tout a commencé le 7 octobre », l’État d’Israël est – logiquement – la partie qui « réagit ». Ce champ lexical n’a pas du tout été utilisé pour l’opération menée par le Hamas, perçue comme un point de départ et non comme une nouvelle étape d’un long conflit. À l’échelle de ce dernier, cette action armée aurait pu néanmoins être présentée, sans que cela ne la justifie, comme une « riposte » ou des « représailles » face au blocus de Gaza, voire plus globalement face au colonialisme ? Mais il aurait également fallu que les grands médias suivent régulièrement et en profondeur les dynamiques catastrophiques sur le terrain afin de ne pas sembler découvrir le 7 octobre au matin que rien n’était résolu, bien au contraire, et que le « calme » qui régnait dans leurs colonnes et sur leurs plateaux n’avait que peu de rapport avec la réalité…

Au-delà de la simple focalisation sur le présent, nous comprenons également, avec cet « exemple opposé », qu’il y a ici une légitimation implicite biaisée : en effet, même si ce n’est pas nécessairement intentionnel, le fait de qualifier l’opération militaire israélienne de « riposte » confère une légitimité fondamentale à cette dernière, présentant Israël comme un État qui « répond » à une « attaque » et se défend de facto. Il n’est pas nécessaire d’avoir une grande imagination pour deviner ce qui se serait passé si, lors d’une émission télévisée, un invité avait eu l’idée étrange de qualifier les attaques du 7 octobre de « riposte palestinienne à la violence de l’occupation israélienne ». Il suffit de regarder ce qui est arrivé à ceux qui ont simplement essayé d’évoquer un « contexte » pour comprendre que, dans de nombreux cas, le présentisme n’est pas seulement un problème de temporalité/causalité, mais aussi de légitimité.

Ainsi, même si la « riposte » a pu être qualifiée de « disproportionnée », « excessive » ou « démesurée » au fil des jours et des semaines, alors que les pertes humaines et matérielles s’accumulaient chaque jour à Gaza, elle reste néanmoins une réponse militaire dont le principe et la légitimité ne sont pas contestés, la seule question pouvant être discutée étant ses modalités. Un exemple typique est l’émission « C ce soir » sur France 5 qui, après avoir posé la question « Israël : jusqu’où ira la riposte ? » le 10 octobre 2023, poursuivait le 12 octobre avec « Israël : entre riposte et vengeance ? ».

Chacun reconnaîtra certainement qu’une discussion qui est « encadrée » par le fait, présenté comme tel, qu’Israël agit « face à la barbarie », restreint considérablement les possibilités d’action au sein d’un « cercle de la raison » dont il est difficile, voire impossible, de s’échapper : il n’est pas nécessaire d’être un observateur avisé des médias pour connaître le sort qui est réservé à ceux qui se retrouvent, non pas en raison de leurs idées et/ou de leurs propos, mais en raison du dispositif et du cadre qui leur sont imposés, du mauvais côté de la frontière médiatique entre « civilisation » et « barbarie » (ou, variante, entre « démocratie » et « terrorisme »), d’autant plus lorsqu’ils sont confrontés à des éditorialistes, des « experts » et d’autres philosophes de plateau. Rappelons-nous par exemple des grandes leçons dispensées par Raphaël Enthoven le 10 octobre 2023 sur Europe 1 : « Rien n’est plus monstrueux que de vouloir expliquer la barbarie et de prétendre la comprendre mieux en le faisant. »

Il s’agit d’un élément essentiel supplémentaire du cadre qui a été mis en place après le 7 octobre et qui a largement influencé la suite des événements : le mantra des porte-parole de l’armée et du gouvernement israéliens affirmant que « Israël a le droit de se défendre », bien qu’il n’ait pas toujours été repris tel quel, a été largement diffusé et légitimé par le choix des termes, la structure narrative et les questions posées, créant ainsi l’idée qu’Israël se trouvait dans une situation de légitime défense. Les discussions portaient alors sur la proportionnalité de la riposte et son efficacité. Ce biais majeur a mis l’accent sur les « droits » d’Israël sans évoquer les droits des Palestiniens (y compris leur droit à se défendre face à une occupation militaire), contribuant ainsi à déshistoriciser non seulement le traitement médiatique des événements à partir du 7 octobre, mais également à consolider la pratique des doubles standards et l’asymétrie marquée entre Israël en tant que sujet actif et les Palestiniens en tant qu’objets sans véritable pouvoir d’action. Nous aborderons ces questions plus en détail dans notre prochain article.

Dépolitisation : la « guerre Israël-Hamas »

Le corollaire du biais présentiste est le biais de la dépolitisation, qui s’est notamment exprimé dans la façon dont la séquence actuelle a été – et continue d’être – nommée. Près de quatre mois après le 7 octobre, on constate ainsi que le terme générique « Guerre Israël-Hamas » (et ses variantes) est largement dominant, suivi de « Guerre Israël-Gaza ».

Rien de surprenant, compte tenu du traitement médiatique après le 7 octobre, que la formule « Guerre Israël-Hamas » se soit imposée et persiste, car elle concentre les raccourcis et les travers du journalisme dominant. Tout d’abord, elle établit (littéralement) une égalité entre les protagonistes, en montrant deux acteurs « en guerre » l’un contre l’autre, en faisant abstraction du déséquilibre monumental des forces en présence et en mettant sur un pied d’égalité, d’une part, un État doté d’une armée régulière (puissante) et, d’autre part, un groupe politique et son bras armé. Deuxièmement, en affirmant qu’Israël est en guerre contre le Hamas, cette formule générique reprend volontairement ou involontairement le récit israélien selon lequel la vaste campagne militaire contre la bande de Gaza vise à neutraliser voire détruire le Hamas, le reste n’étant que des dommages collatéraux regrettables. Enfin, en troisième lieu, en réduisant la seconde partie prenante du conflit au seul Hamas, elle contribue à un phénomène d’invisibilisation géographique et politique, comme si la guerre d’Israël n’était pas menée contre l’ensemble des Palestiniens et de leurs organisations, où qu’ils et elles se situent.

En qualifiant largement la séquence actuelle de « Guerre Israël-Hamas », les médias dominants contribuent à la dépolitisation et à la déshistoricisation du conflit. Ils extraient artificiellement l’actualité des quatre derniers mois de l’histoire longue du conflit entre Israël et les Palestiniens, en ignorant délibérément plusieurs dimensions essentielles. Ils semblent présenter le Hamas (fondé en 1987) comme le déclencheur des opérations meurtrières d’envergure menées par Israël contre les Palestiniens. De plus, ils limitent les arrestations réalisées au cours des quatre derniers mois en Cisjordanie, à Jérusalem et en Israël au seul Hamas, ignorant ainsi les militants des organisations politiques et sociales palestiniennes. Enfin, malgré les preuves et les déclarations de certains dirigeants israéliens, ils réduisent l’objectif de cette « guerre » à la destruction du Hamas, sans évoquer la destruction des infrastructures palestiniennes dans son ensemble, voire de l’existence même d’une question nationale palestinienne.

Dépolitisation : la Cisjordanie, cet « autre front »

Ce dernier titre, absurde, de la RTBF, nous amène à discuter du cas de la Cisjordanie, qui a été – et reste, dans une large mesure – une zone d’ombre réelle dans le traitement médiatique de la séquence qui a commencé le 7 octobre. Une zone d’ombre qui n’est pas seulement le reflet d’une sous-estimation des événements qui se sont déroulés – et se déroulent encore – dans les territoires palestiniens occupés « hors de Gaza », mais qui contribue également au deuxième biais que nous venons d’évoquer, celui de la dépolitisation.

Le constat que l’on peut faire est que la plupart des « grands médias » continuent sur la même lancée que les mois précédant le 7 octobre. Ainsi, l’analyse des tweets que nous avons effectuée concernant Gaza est tout aussi révélatrice pour la Cisjordanie. Du 1er janvier au 6 octobre 2023, on ne compte que 2 mentions de la Cisjordanie sur le compte de LCI, 2 sur le compte de CNews et 5 sur le compte de BFM-TV. France Info se distingue avec 39 tweets, soit une moyenne d’un par semaine. En ce qui concerne les journaux, on dénombre 7 tweets sur le compte du Parisien, 11 sur le compte du Figaro, 23 sur le compte de Libération et 44 sur celui du Monde, soit un peu plus d’un par semaine. Sans surprise, pour les quelques médias qui ont un nombre plus élevé de tweets, il s’agit là encore très majoritairement d’informations ponctuelles concernant des moments de tension militaire aiguë, notamment les violentes opérations israéliennes à Naplouse (mars 2023) et à Jénine (janvier, mars, juin-juillet 2023). Les reportages « de fond », souvent de bonne qualité, se comptent quant à eux sur les doigts d’une main pour chacun de ces médias.

Et pourtant… De janvier à octobre, 205 Palestiniens ont perdu la vie dans cette région (y compris Jérusalem-Est), ce qui constitue un record depuis le début des années 2000. Pendant la même période, le nombre de prisonniers palestiniens [14] a augmenté de 10%. De janvier à août 2023, le gouvernement israélien a approuvé la construction de près de 13 000 logements dans les colonies de Cisjordanie, établissant ainsi un record absolu. L’ONU a recensé en moyenne trois attaques commises par des colons chaque jour, ce qui représente une augmentation de 50% par rapport à 2022 et de 200% par rapport à 2021. Il est donc clair que l’année 2023 n’a pas été une période « calme » ponctuée de moments « violents » en Cisjordanie. Cependant, l’expansion de l’emprise coloniale israélienne et ses conséquences sont rarement abordées, et la couverture médiatique est non seulement très limitée, mais également analytiquement déficiente. La Cisjordanie, tout comme les autres territoires palestiniens, souffre du syndrome de Tom et Jerry.

Il n’est donc pas surprenant qu’il y ait eu un « retard à l’allumage » spectaculaire après le 7 octobre : tous les regards étant tournés vers Gaza et la Cisjordanie étant déjà opprimée et maltraitée, il a fallu plusieurs jours, voire plusieurs semaines, pour que la répression violente (131 Palestiniens tués en octobre, 124 en novembre), les arrestations de l’armée israélienne (1 000 arrestations en Cisjordanie dans les deux semaines suivant le 7 octobre, soit plus de 70 par jour) et l’escalade des exactions commises par les colons fassent l’objet de publications et, plus rarement, de reportages. En ce qui concerne les titres de presse écrite étudiés, les premiers articles traitant des multiples violences commises par les colons ont été publiés en ligne aux dates suivantes : le 20 octobre (Libération), le 21 octobre (Le Monde), le 22 octobre (Le Parisien), le 28 octobre (Le Figaro). Il convient également de noter la manière originale dont France Info a abordé le sujet dans sa première publication sur la Cisjordanie le 10 octobre, en mettant l’accent sur la vie sous les roquettes à Beitar Illit, une colonie israélienne en Cisjordanie.

Comme noté par Arrêt sur images (3 nov.), « la Cisjordanie reste accessible aux journalistes, même en période d’occupation. Cependant, peu de médias offrent un suivi détaillé de la situation dans ces territoires où vivent trois millions de Palestiniens. […] De plus, la presse s’est principalement concentrée sur les manifestations de la population – parfois en soutien au Hamas – ou sur la visite d’Emmanuel Macron, et moins sur les violences subies. » Cela est illustré – parmi de nombreux autres exemples – sur le compte Twitter X de BFM-TV, où parmi les 28 tweets mentionnant la Cisjordanie postés dans les trois semaines suivant le 7 octobre, pas moins de 13 (46%) étaient liés au déplacement d’Emmanuel Macron à Ramallah (6 sur 15 pour LCI, 6 sur 17 pour France Info, 4 sur 6 pour CNews).

Autre constat, et pas des moindres, le cadrage « guerre Israël-Hamas » (ou « Israël-Gaza »), en remplaçant le cadrage « habituel » du « conflit israélo-palestinien » (également critiquable), a contribué non seulement à marginaliser médiatiquement la Cisjordanie mais aussi à la détacher symboliquement de la bande de Gaza, un phénomène participant d’une confusion manifeste entre réalité géographique et réalité nationale et politique. La Cisjordanie est ainsi devenue un théâtre de guerre distinct, parfois même considéré comme un front supplémentaire, à l’instar du Liban ou même de la Syrie, comme le suggère l’introduction de l’article « Guerre contre le Hamas : Israël face à la menace de la multiplication des fronts », publié le 12 octobre 2023 sur le site de France 24. Bien que cela ne soit pas très flatteur, il est important de noter que France 24 n’est pas le dernier des médias. L’article déclare : « Alors qu’Israël a encerclé Gaza avec une force militaire massive, les incidents aux frontières nord, avec le Liban et la Syrie, se sont multipliés depuis le début de l’offensive du Hamas sur son territoire. De plus, il ne faut pas exclure le risque d’un soulèvement en Cisjordanie contre les colonies. France 24 a interrogé plusieurs experts sur les capacités de l’armée israélienne à faire face simultanément à des attaques multiples. » Cette formulation semble créer une prédiction auto-réalisatrice : Israël est en guerre contre le Hamas, le Hamas ne contrôle pas la Cisjordanie, donc tout ce qui se passe en Cisjordanie est considéré comme une « autre guerre » ou un « autre front », voire une manifestation d’une « escalade régionale ». Le cercle est bouclé.

Quand le cercle de la raison se referme

S’il y a effectivement une fragmentation politique et géographique de la société palestinienne, le rôle des médias n’est certainement pas de la naturaliser, voire de la renforcer par les mots et les angles choisis. Il s’agit plutôt de la comprendre et de l’expliquer, en particulier en ce qui concerne les politiques coloniales israéliennes, au sein desquelles la fragmentation joue un rôle essentiel, et de ne surtout pas prendre pour argent comptant l’idée selon laquelle cette fragmentation signifierait une dilution, voire une disparition de la question nationale palestinienne. Mais il faudrait encore assurer un suivi réel et approfondi de la situation, en dehors des seuls moments de vive tension militaire, qui ne sont guère propices à la réalisation d’enquêtes et de reportages permettant de comprendre et d’expliquer les permanences – et les nouveautés – d’un conflit aux racines fondamentalement coloniales.

Le cadre global qui s’est imposé le 7 octobre et les jours qui ont suivi a pris une direction totalement opposée, créant un récit d’où il est rapidement devenu difficile, voire impossible, de s’échapper : une attaque soudaine et inexplicable, une « riposte » légitime dont seules les modalités pourraient être discutées, une « guerre » menée par Israël contre une organisation ennemie avec des conséquences collatérales à Gaza et sur d’autres fronts, y compris en Cisjordanie. Cela forme un modèle (anti-) basé sur le présentisme, la déshistoricisation et la dépolitisation, qui est rapidement devenu le périmètre du débat légitime, où l’émotion étouffe l’analyse, où la dimension militaire du conflit occulte ses aspects politiques et juridiques, et où le court-termisme écrase toute réflexion sur les dynamiques à moyen et long terme.

Il est évident que toutes les productions médiatiques depuis le 7 octobre 2023 ne peuvent pas être réduites aux travers et aux biais que nous avons étudiés ici. Cependant, il est important de souligner les effets de cadrage du bruit médiatique dominant, qui jouent un rôle crucial non seulement dans la perception que le public peut avoir d’une situation qui suscite un déferlement médiatique, mais aussi dans la configuration du débat public et la légitimation ou la délégitimation des positions et arguments des différentes parties. Il convient également de souligner que ces biais initiaux, qui s’inscrivent dans une continuité – tout en les amplifiant et en les aggravant – avec les travers habituels du traitement médiatique du conflit entre Israël et les Palestiniens, ont contribué à la formation d’un cadre global qui continue de s’imposer quatre mois plus tard. Ce cadre général a été un catalyseur, un facilitateur et un soutien pour le développement d’un contenu extrêmement problématique, conduisant à un véritable naufrage moral et informationnel. Il a entraîné la destruction du pluralisme, une quête futile d’équilibre trompeur, la normalisation de deux poids deux mesures, la banalisation de la compassion sélective, l’occultation de la tragédie de Gaza et, finalement, l’accompagnement, voire la légitimation de la loi du plus fort sous prétexte d’information. Ces aspects seront examinés dans une prochaine étude en deux parties : « Israël-Palestine, le 7 octobre et après : doubles standards et compassions sélectives » et « Israël-Palestine, le 7 octobre et après : invisibilisation de Gaza et déshumanisation des Palestiniens« .

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